FRAUDE FISCALE : Un Plan-Plan Anti-Fraude ?
Voilà plusieurs semaines que le plan Anti-fraude fiscale et sociale concocté par Gabriel Attal devait être annoncé. Plusieurs fois retardé, seules les annonces de création d’une unité de renseignement fiscal, de l’évolution du SEJF (service d’enquête judiciaire des Finances) en Office national (baptisé ONAF, Office national anti-fraude) et de recrutements supplémentaires d’officiers fiscaux judiciaires (OFJ) avaient bruissé hors de Bercy.

C’est le 9 mai à Ivry, au siège du SEJF (et du renseignement douanier ou DNRED), dans la foulée d’un article « questions-réponses » du ministre paru dans Le Monde, que Gabriel Attal a officiellement dévoilé son plan Anti-Fraude …amputé du volet fraude sociale, lequel devra attendre la fin du mois.
L’attente de ce Plan était forte, en particulier, après l’évaluation de la fraude à la TVA estimée au bas mot entre 20 et 26 Mds d’euros chaque année (étude INSEE 25 juillet 2022). Cependant, rien de nouveau ne ressort à ce sujet. Bercy a seulement annoncé en avril dernier vouloir accélérer le processus de facturation électronique. Un dispositif dont Gabriel Attal espérait en août 2022 qu’il permettrait de récupérer près de 2 Md € de TVA en plus par an …soit seulement 10 % de la fourchette basse de la TVA fraudée chaque année. Un braquage du siècle aux Finances publiques …annuel ! Surtout, ledit processus de facturation électronique n’aura d’effet que sur ceux qui facturent et utilisent les voies de règlements bancaires, donc échappera à nombre de fraudeurs.
Face à l’envolée des fraudes sociales et fiscales et face à la démocratisation de leur internationalisation et de leur complexification, la CFDT Finances publiques reste dans l’expectative au regard de ce Plan qui apparaît bien plan-plan tant il reprend des points …déjà existants (sous une forme ou une autre) et reste évasif pour certains autres. A se demander si les services de la Sécurité juridique et du Contrôle fiscal (SJCF) ont été consultés ? Une chose est sure, tel un principe actif de la Macronie, les représentants du personnel ont bien évidemment été tenus à l’écart de toutes discussions, alors que la CFDT Finances publiques et les autres OS représentatives sont depuis plusieurs années très régulièrement consultées par les commissions parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale, par la cour des Comptes, l’inspection générale des Finances, etc. Par tous …sauf par la DGFiP et le gouvernement.
De la lutte contre la fraude …et de la lutte des classes.
La CFDT Finances publiques aurait évidemment évoqué des mesures de lutte qui ne nécessitent nullement, dans bien des cas, de faire de différences entre « classes moyennes » et « ultra-riches ». En ratio, le curseur de la fraude n’est certainement pas plus opérant par le biais de la richesse et du dernier décile des revenus que par le champ professionnel, le type de structures, les catégories d’impôt, certains zonages géographiques, ou les conséquences ravageuses des processus immuables (ex. : remboursement de crédit de TVA). A cet égard, on aimerait des plans de contrôle plus prospectifs et pertinents avec des moyens humains adéquats pour aller traquer la fraude dans certaines SCI, sur des BNC ou de gros BA, sur le traitement des plus-values ou des CIR, ou encore dans quelqu’entreprises nichées dans des ZFU ou dans des ZRR où les salariés paient des impôts …à l’inverse du patron ! Sauf à jouer la carte de la démagogie, opposer les Français entre eux est certainement à proscrire en la période. Pourtant le ministre a avancé que « la philosophie de (s)on plan, c’est de concentrer l’effort sur les ultras riches et les multinationales ».
Mais derrière ces propos, difficile d’oublier que ces 6 dernières années les gouvernements successifs du Président Macron ont amplement favorisé fiscalement les contribuables les plus riches (IFI, prélèvement forfaitaire unique, etc.). La chasse à l’électeurs a donc déjà commencé…
Mais derrière ces propos, peut-être s’agit-il aussi de faire coïncider un peu plus les indicateurs de la DGFiP sur l’incidence qu’ils engendrent sur la réalité des contrôles fiscaux. Depuis des années, les orientations prises poussent à taper les hauts de portefeuille, à privilégier les contrôles dont les résultats financiers sont plus assurés et/ou plus rapides. Ces choix emprunts de raisons budgétaires ont des conséquences que dénoncent la CFDT Finances publiques : de larges spectres de contribuables échappent alors aux radars. Pour la CFDT Finances publiques, le périmètre du CF doit couvrir l’ensemble des fraudes. Toutes les catégories d’entreprises et de contribuables personnes physiques comportent leur lot de fraudeurs.
Adapter les moyens aux typologies de fraudes, pas opposer les Français.
Compte tenu des moyens dont disposent les plus fortunés et les grandes entreprises, la CFDT Finances publiques rappelle la nécessité d’allouer des moyens différenciés en fonction des situations, non de favoriser de futurs friches, fruits des futurs nids à fraude et de la fragmentation du pays. Suivi des flux financiers, des bénéficiaires effectifs, réalité des opérations menées, contrôle effectif des politiques de prix de transfert, matérialité des sièges sociaux, situation des paradis fiscaux exigent de renverser la table ! La lutte contre les fraudes fiscales complexes, en particulier celles faisant intervenir des montages internationaux ou des schémas juridiques permettant de dissimuler une partie de ses avoirs et de son patrimoine, nécessite beaucoup plus de moyens techniques, juridiques, humains et financiers qu’actuellement. Il convient aussi de laisser des marges de manœuvre au niveau le plus opérationnel et d’adapter les moyens et les besoins en logiciels dans les services les plus à même de les faire utilement fructifier, comme à la DVNI avec Diane/Orbis s’agissant des prix de transfert. Même illusionnés par l’informatique, les listes "DM" et l’IA (intelligence artificielle), est-ce vraiment des bureaux de Bercy qu’on traque le mieux la fraude ?
Le CF : crise des vocations, formation insuffisante, valorisation en berne…
Si l’annonce d’un redéploiement de 1500 emplois vers le contrôle fiscal (CF) sur le quinquennat n’est pas négative, elle n’augure pas de lendemains qui chantent. Cela représente en réalité moins de 400 emplois / an, alors que plus de 2000 emplois ont été supprimés dans le CF ces dix dernières années. Une situation dont le ministre n’avait visiblement pas été informé : « seuls une centaine d’emplois (a) été supprimée dans cette sphère et essentiellement à cause de la numérisation et du déploiement de l’intelligence artificielle ». Fichtre ! N’oublions pas en outre que cela se fait/fera au détriment des services de gestion déjà en souffrance.
Par ailleurs, si le doublement du nombre d’OFJ (40 ETP supplémentaires) ou la création d’une unité de renseignement fiscal rattachée à la DNRED (jusqu’à 70 ETP ?) est un objectif louable du Plan Attal (cf. encadré ci-dessous), il est loin de répondre au phénomène d’ampleur qu’est la fraude.
Dans un pays qui compte plus de 4,2 millions d’entreprises, plus de 7 millions « d’unités légales » et près de 35 millions de foyers fiscaux… que pèsent in fine de telles annonces ?
Le serpent de mer de l’évaluation des fraudes
Une chose est cependant certaine s’agissant de l’évaluation de la fraude fiscale que Gabriel Attal a évoqué à travers la création d’un « Conseil de l’évaluation des fraudes » …c’est qu’elle sera impossible si le gouvernement entend laissait « souffler » un large périmètre de contribuables. En effet, d’un point de vue méthodologique, cela exige des contrôles plus aléatoires et sur des spectres différenciés. Raison pour laquelle l’INSEE n’a pu qu’évaluer la fraude à la TVA jusqu’à présent. Aiguillonné par le sénateur communiste Eric Boquet, l’ancien ministre du Budget Gérald Darmanin prétendait déjà lancer un comité ad hoc dans la foulée de sa Loi Fraude de 2018. Il était même envisagé que des représentants des OS participent à l’évaluation. Le Plan Attal n’y fait pas référence, mais gageons que le ministre du Budget reste ouvert sur le sujet. La CFDT Finances publiques qui s’y était engagée, tiendra ses engagements.
Des annonces en vrac.
Dans le flot des annonces découlant du Plan Attal, certaines ont suscité une attention circonspecte des praticiens du contrôle fiscal.
Alors qu’existe déjà – sur le papier – le contrôle triennal des Dossiers à Fort Enjeux (DFE) depuis plus de 20 ans, Gabriel Attal propose d’augmenter les contrôles des « hauts revenus » de 25 %. Tant d’un point de vue matériel qu’humain, cette proposition n’apparaît guère crédible. D’autant plus que ces dossiers nécessitent l’acquisition de compétences professionnelles qui ne s’acquièrent pas en quelques mois. Ce d’autant moins que la formation initiale a été amputée de 6 mois depuis 2019 pour des questions purement budgétaires …et peut-être à dessein. La CFDT Finances publiques attend la concrétisation de cette annonce qui implique a priori un renforcement de la DNVSF en vérificateurs et en chefs de brigade, lesquels devront se voir accorder confiance et reconnaissance.
Dans cette veine bisannuelle, ressort la vérification des 100 plus grandes capitalisations boursières tous les 2 ans. Une proposition injouable au regard des périmètres des multinationales concernées, sauf à mettre tous les effectifs de la DVNI sur quelques sociétés pendant un an …et de recommencer dans la foulée.
Autre annonce aussi surprenante que dispendieuse, celle d’une indemnisation des erreurs déclamée sur les plateaux TV …dans un certain flou. C’était oublier qu’existent déjà les intérêts moratoires ! La CFDT Finances publiques aura aussi relevé le délit d’incitation à la fraude fiscale dont on peine à voir la différence avec le récent délit de complicité de fraude fiscale par instigation…
Dans ce flot, l’indignité fiscale peut apparaître intéressante s’il s’agit concrètement d’interdire aux fraudeurs de bénéficier de régimes de faveur de façon durable et automatique. La CFDT Finances publiques proposera des mesures dans le cadre du débat à venir au Parlement. Nous réclamons en outre un travail de fonds sur les interdits de gérer et sur tous ceux qui nuisent durablement à la société par leur prédation aux Finances publiques, leur atteinte à une concurrence saine et non faussée, mais aussi aux consommateurs. Un fichier des délinquants, accessible des citoyens, aurait un effet dissuasif en la matière.
S’agissant du recours aux liquidations amiables pour éviter de payer ses dettes fiscales et sociales que dénonce depuis des lustres la CFDT Finances publiques, le gouvernement semble vouloir y mettre son nez. On ne peut que s’en réjouir, de même que s’agissant des fraudes via les sociétés éphémères (où la DGFiP avance aujourd’hui avec des souliers de plomb) ou via le détournement de la transmission universelle de patrimoine (TUP).
A contrario, la CFDT Finances publiques demande que la politique de régularisation soit mieux bornée afin qu’existe in fine une différence de situation notable entre le contribuable qui déclare ab initio et celui qui voit sa situation remise à niveau à l’issue d’un contrôle.
Au final, nombre de contours de ce Plan nécessitent encore d’être précisés. Il faudra impérativement que le ministre tienne plus compte des réalités, notamment des contraintes des procédures et des garanties qui se rattachent aux contrôles fiscaux. La CFDT Finances publiques est disposée à ce que s'opère un dialogue social sur ce sujet.
Si les agents des Finances publiques, à l'instar des « classes moyennes » ont besoin de souffler, c’est certainement plus de la ComPol (communication politique).