DGFiP : qui a envie d’emmerder les nomades ?

Publié le 18/01/2022

On apprend en marchant dit l’adage. Après 2 ans de SARS-Cov2, ça ne se vérifie pas toujours. La situation des nomades de la DGFiP en "TT exceptionnel" en ce début d’année 2022 en témoigne ...et la diffusion d'un protocole d'intervention ce 18 janvier (de Bercy ou d'Ibiza ?) ne va pas changer grand chose. La colère fait place à l’amertume. Une avancée toutefois : une distribution de masques FFP2 aux nomades et agents recevant du public démarre. Voulant sans doute ne pas donner l'impression d'avoir cédé aux bons sens des organisations syndicales, le gouvernement se fait discret sur cette avancée à laquelle il opposait un refus dogmatique (cf. dépêche : Visio du 28 décembre).

Depuis le 4e trimestre 2020, les entreprises et les administrations ont été incitées à placer leur personnel en « télétravail exceptionnel » à chaque nouvelle vague. Il faut dire que le travail à domicile, promu par l’exécutif, a été érigé en geste barrière.

Un recensement des télétravailleurs en mode gonflette…

A la DGFiP, le recensement des télétravailleurs et les remontées au niveau central ont été des exercices quelque peu baroques. Pour maximiser le nombre de « télétravailleurs exceptionnels », les nomades ont été mis à contribution bien que ce statut les en écarte. S’agissait-il de reconnaître l’expertise des vérificateurs et enquêteurs en matière de « double compta » …ou plus prosaïquement de flatter le taux de télétravailleurs recensé par le ministère de la Fonction publique ?

La DGFiP pourrait sans difficulté dissocier les nomades des agents en télétravail (TT) de crise. Mais au niveau Fonction publique, cherche-t-on vraiment à établir un recensement précis du TT exceptionnel ? Une seule case a été prévue à cet effet …et le tour de passe-passe dure depuis 1 an et 6 mois. On peut dès lors douter de la pugnacité des ministères concernés par le nomadisme à vouloir affiner le décompte des « vrais » télétravailleurs à domicile. A moins que le défi technologique à incrémenter une case supplémentaire dans le tableau statistique idoine ait paru insurmontable à ceux qui ne cessent, pourtant, de vanter la dématérialisation à tout crin et la digitalisation de la société !

Outre qu’il fausse la réalité statistique, ce détail n’est pas si anodin. Il y a derrière la question de l’exercice des missions. Or, le TT est ordinairement refusé aux nomades. Dans sa FAQ de juin 2021 relative au TT, le bureau RH2C rappelle d’ailleurs qu’un « cadre itinérant dit nomade (vérificateur, géomètre, conseiller aux décideurs locaux…) dispose d’un ordre de mission permanent, qui lui permet de travailler à domicile ». De par son statut, le nomade dispose d’une latitude dans l’organisation du travail qui est consubstantiel à l’exercice de ses missions avec entre-autres modalités …le travail à domicile. Une analyse que la CFDT Finances publiques n’a eu de cesse de rappeler (en dénonçant déjà, avant la pandémie, l’attitude de certains directeurs et chefs de services qui avaient un goût immodéré pour le « présentialisme »).

Cette comptabilisation inopérante conduit à des aberrations : en intervention sur le terrain ou en visio du bureau, certains nomades se voient demander de s’enregistrer en TT exceptionnel dans SIRHIUS RH …démonstration sans doute d’un rare don d’ubiquité. La CFDT Finances publiques soutient ceux qui s’y refusent. Par ailleurs, dès lors que la DG explique que la 5e vague n’est pas un frein à l’exercice des missions, l’enregistrement des nomades en TT exceptionnel devient contradictoire avec l’effectivité de leurs missions.

Par définition, le nomade se déplace. Même enregistré en TT en début de journée ou d’après-midi, celui-ci peut être amené à aller sur le terrain pour constater, saisir, contrôler, arpenter, relever, repérer, enquêter, conseiller, être requis à sachant, consulter un dossier dans un centre, se rendre dans un service partenaire, etc. De plus, dans la vraie vie, l’inopiné participe de la réalité du quotidien : l’huissier peut ainsi devoir saisir des espèces dans les 24 h de la garde à vue ou l’enquêteur de BCR être appelé au débotté sur une opération. En attendant, quid de l’accident survenant à ces télétravailleurs de l’exceptionnel …qui n’étaient pas chez eux ? La case « en même temps » n’existe pas encore sur le constat d’assurance.

…mais misère et embûches sur les frais…

Exceptionnellement réévalués et étonnamment non indexés, les frais relatifs à l’usage d’un véhicule, au repas ou de nuitée sont un sujet qui fait grincer des dents. En outre, le mécanisme de remboursement a été alourdi et est appuyé par un logiciel …bien peu intuitif. Depuis plus de 3 ans, la CFDT Finances publiques réclame une objectivation des situations et l’ouverture de discussions. En vain pour le moment.

De toutes les administrations régaliennes, la DGFiP est certainement celle qui dispose du plus anémique des parcs autos (…dont les heureux bénéficiaires sont avant tout quelques cadres supérieurs). Si de rares directions sont exemplaires en la matière, les Finances publiques sont de fait l’Administration qui profite le plus de ses agents en leur faisant supporter les charges d’investissement, d’amortissement, d’entretien, d’assurance et de fonctionnement courant des véhicules. Avec l’augmentation des prix des carburants, des pièces, de l’entretien, des assurances et autres contraintes (contrôle technique…), la DGFiP s’exonère à bon compte d’une charge conséquente, y compris en matière de gestion.

Pire, plus vous roulez, plus vous y êtes de votre poche ! Les suppressions de postes, les fusions de services ou le NRP ont étendu les zones d’intervention des huissiers, informaticiens, évaluateurs du domaine, CDL, enquêteurs, etc. A la clef, une augmentation des kilomètres parcourus et le risque de dépasser les 10 000 km/an, 1er seuil au-delà duquel le taux de remboursement baisse. Une mécanique inique qui se déclenche même si vous allez remplacer un collègue ou si vous allez vous former !

…et la prise en compte réaliste des situations de travail

Et s’agissant des frais de repas ? L’administration tarde à adapter la réglementation pour que soit pris en charge certaines notes de frais au-delà de l’application du forfait. De même, l’administration tarde encore plus à modifier les règles mesquines qui, sur un même lieu d’intervention voit certains agents être écartés du remboursement de frais pour des questions de résidences.

Si certaines règles et barèmes s’appliquent à tous les fonctionnaires, les nombreux nomades de la DGFiP pâtissent le plus de l’inaction des décideurs. Il est de la responsabilité de l’employeur de prendre en compte la réalité des situations et de discuter avec les OS représentatives des améliorations envisageables.

Les nomades de la DGFiP doivent être mieux traités. Au lieu de cela, ces dernières années, les conditions de travail se sont dégradées. Et certains en auraient bien rajouté en limitant le délai de séjour des acteurs du contrôle fiscal à 5 ans. Quelle inconséquence, alors que pointe le risque d’une désaffection des agents à l’instar de ce que connaît le monde judiciaire.

L’attractivité est mise à mal par différents facteurs, mais les mêmes maux ont les mêmes effets à moyen terme. Manque, voire absence, de soutien technique d’une part croissante de la hiérarchie supérieure, laquelle méconnaît de plus en plus les situations de travail et se réfugie derrière les remplissages statistiques ineptes ; chefs de brigade qui en pâtissent et croulent sous les injonctions bureaucratiques ; alourdissements procéduraux et remplissage d’applicatifs en augmentation ; absence de confiance dans les équipes et aversion au risque et à l’initiative ; manque de reconnaissance professionnelle et de perspective de carrière dans la filière ; valorisation indemnitaire et RH des compétences fort peu développée ; formation initiale méthodiquement réduite depuis la fusion …ce qui est porteur de risques, d’inadaptation et de désaffection.

Enfin, la CFDT Finances publiques qui a largement œuvré en amont à la création du Service d'Enquêtes Judiciaires des Finances (SEJF) dénonce à longueur de GT et CTR l’inaction de Bercy qui, depuis plus de 2 ans, fait lanterner les officiers fiscaux judiciaires (OFJ) du SEJF en ne prenant pas en compte la réalité de leur travail et de leurs contraintes horaires atypiques (idem pour les OFJ de la BNRDF*). A cet égard, la CFDT exige l’élaboration d’un statut intégrant la pénibilité, les horaires de nuit, les temps de repos obligatoires (pas du tout respectés), le port d’arme, les heures supplémentaires (et leur défrayement) et toutes les modalités techniques et opérationnelles dans la gestion au jour le jour des personnels nomades exerçant dans ce type de structures (BNRDF, GIR*, BNEE*, GREE*, SEJF*).

La CFDT Finances publiques exige en outre que tous les nomades qui font parfois face à des situations de travail analogues (BCR, B2i, BVCi, B3i, etc.) voient ce type de contraintes enfin prises en compte ! Le travail sur des plages horaires « élastiques », de nuit, les week-ends ou les jours fériés n’est pas pris en compte à la DGFiP, ce qui est inadmissible.

La CFDT Finances publiques défend l’originalité du statut de nomade et réclame l’ouverture de discussions sur ces thématiques. Les ministres et hauts-fonctionnaires qui ont loué la réactivité et l’engagement des nomades pendant la crise sanitaire (appui au FDS*, campagne IR, adaptation des contrôles, etc.), envisagent-ils en même temps que les emmerdements continuent ?

 

* > SEJF : créé le 1er juillet 2019 ; BNRDF : Brigade Nationale de Répression de la Délinquance Fiscale (créée en 2010) ; GIR : Groupes Interministériels de Recherches (créées en 2002 ; 44 GIR et 4 antennes) ; BNEE & GREE : Brigade Nationale & Groupe Régionaux d'Enquêtes Economiques (créée en 1948) ; FDS : Fonds de solidarité