La médiation ne remplacera pas les CAP supprimées

Publié le 16/04/2021

Suite à la suppression des CAP mobilités et promotions, le ministère a décidé d’expérimenter la médiation afin de diminuer la hausse probable des litiges entre les agents et leurs administrations. Le contexte est de mettre toujours un peu plus les organisations syndicales hors-jeu. Mais la médiation pose beaucoup de questions et ne remplacera pas les militants auprès des agents.

La médiation : un moyen pour désamorcer la hausse des contentieux

Le principe d’utiliser la médiation afin de trouver une solution aux litiges est inscrit dans la loi de modernisation de la Justice du 21ème siècle. Il s’agit pour l’État de régler les conflits devant le juge administratif par un mode alternatif. Il s’agit surtout pour Bercy de contenir une possible augmentation du nombre de contentieux administratifs à la suite de la publication de la loi de Transformation de la Fonction publique (TFP) et aux lignes directrices de gestion ministérielles (LDG). En effet, entre 400 et 700 saisines contentieuses sont traitées au sein du ministère tous les ans et la crainte d’une augmentation sensible est réelle et le risque d’embolie des services tout autant.

La médiation, c’est quoi au juste ?

Pour le Secrétariat général, la médiation est « une voie apaisée de résolution des problèmes ». Pour le médiateur du ministère, c’est « un espace de liberté. On y va si on a envie et on se retire si on veut, les voies contentieuses restant toujours possibles ».
La médiation a vocation à apaiser les conflits et les différents par l’intermédiation d’un tiers formé et neutre. Pour le médiateur du ministère, la médiation ne se substitue pas au dialogue social, ni aux RH. Il précise que ce sont les mêmes process qui sont à l’œuvre dans le cas des usagers ou des agents. Enfin, Le pilotage du réseau déconcentré de médiateur serait effectué par le Secrétariat général en lien avec le médiateur du ministère.

Comment devient-on médiateur ?

Les médiateurs sont ou seront formés (CNAM, ou à l’IGPDE par IFOMENE). Il s’agit selon le médiateur du ministère d’une formation de très haut niveau.

Médiation, mode d’emploi

Les LDG prévoient que l’agent peut se faire représenter par n’importe quelle personne, y compris par un militant syndical.
Le Secrétariat général insiste sur le fait que le recours à la médiation est une voie supplémentaire de résolution des conflits et que le recours devant le juge est toujours possible. Les délais de recours sont suspendus en cas de médiation.
Les agents pouvant faire appel au médiateur sont ceux du MEFR, fonctionnaires comme contractuels. L’organisation de la médiation sera celle d’un réseau déconcentré de médiateurs piloté par le Secrétariat général. Les sujets pouvant être traités sont ceux liés aux CAP supprimées (mobilités et promotions) mais d’autres sujets pourraient être concernés (télétravail, formation…).
Un arrêté (discuté avec les directions du ministère mais pas avec les organisations syndicales) précisera en avril le périmètre des sujets concernés. Le médiateur du ministère verra sa compétence étendue au règlement des conflits entre les agents et l’administration.
Nous ne connaissons pas le nombre de médiateurs supplémentaires dont l’administration souhaite se doter. L’expérimentation sera lancée le 1er septembre 2021 et durera trois ans. Un bilan sera réalisé en 2024. Le ministère n’exclut pas des bilans annuels intermédiaires…dans la mesure où le médiateur en établit un chaque année.

La procédure de médiation

Etape 1 : demande de l’agent

Etape 2 : J+1 Accusé réception et analyse de la recevabilité (périmètre, domaine).

Etape 3  : Chaque partie (agent, administration) s’exprime de son côté en aparté et confidentialité. Discussion sur les faits

Etape 4  : propositions. 1 ou 2 séances de médiation

Etape 5 : écriture et signature d’un accord en présence du médiateur.

Analyse

Pour la CFDT et la CFTC Finances, la mise en place de la médiation s’inscrit dans un contexte général de mise à l’écart des organisations syndicales avec la diminution de leurs moyens, des lieux d’instance (CHSCT) et du périmètre de leurs interventions (suppression des CAP de mutations et de promotions).

Nous sommes également intervenus sur le fait que le représentant syndical, prévu dans la loi TFP n’a toujours aucun moyen pour remplir son rôle, ni aucun cadre d’intervention, alors même que les CAP mobilités sont supprimées depuis le 1er janvier 2020 et les CAP promotions depuis le 1er janvier 2021. Concrètement, cela revient à ce qu’un militant syndical auquel un agent souhaite échanger et faire intervenir sur sa situation personnelle, ne dispose d’aucune décharge de service au motif que c’est à la demande d’un agent et non de la direction. D’un côté Bercy se donne les moyens d’intervenir directement dans les litiges avec des médiateurs, de l’autre, il ne donne aucun moyen au représentant syndical pourtant prévu dans la loi TFP. Cette situation est inacceptable et les discussions au niveau de la Fonction publique doivent rapidement aboutir pour donner un cadre d’intervention et les moyens nécessaires pour défendre les agents.

Le processus de médiation ne peut pas remplacer les interventions en CAP. En effet, les élus en CAP pouvaient intervenir en amont des décisions de l’administration alors que c’est après coup pour la médiation. Cela pose évidemment la question de ses marges de manœuvres : comment modifier par exemple un tableau d’avancement après publications ?
Les militants qui accompagneront les agents dans ce processus ne disposeront pas des mêmes informations qu’ils avaient en CAP. Ils n’auront pas une vue de la situation de l’ensemble des agents concernés par une mobilité ou une promotion et devront défendre l’agent avec moins d’informations que la RH.

Nous avons fait valoir que la médiation n’est pas un espace de dialogue collectif mais de résolution de conflit individuel. La médiation ne doit pas nier la dimension collective du travail et ses tensions. La médiation ne fait pas de bruit. Limitée à deux personnes, elle réduit en effet la dimension collective du travail en transformant les problèmes du travail à des difficultés personnelles.
Les agents et les cadres n’ont plus le temps de se parler. Plus que d’une médiation ou en complément, l’administration serait bien inspirée de relancer les espaces de dialogues.

La question de la neutralité des médiateurs est posée : sont-ils en fonction dans la direction locale de l’agent qui demande une médiation ?

Pour le médiateur du ministère, comme pour la CFDT et la CFTC Finances, la médiation doit être basée sur le volontariat de l’agent, et non pas, comme le souhaite le Conseil d’État, obligatoire. Cela n’a en effet aucun sens.

Le Secrétariat général prévoit une médiation d’une durée maximale de trois mois. À notre sens, il faudrait plutôt une limite de temps pour déclencher une médiation dès lors qu’elle aura été demandée par l’agent !

Nous avons dénoncé la concurrence déloyale entre le médiateur auquel l’administration va donner les moyens d’interventions et le représentant syndical, qui, même s’il est prévu depuis 18 mois dans la loi TFP, attend toujours qu’une discussion soit ouverte pour définir son cadre d’intervention. De même, aucune décharge de service n’est attribuée à l’agent pour intervenir dans le cadre de la médiation.

Nous avons émis de sérieux doutes sur le fait que la médiation pour les usagers puisse être rapprochée de la médiation entre un agent et son employeur. Les techniques peuvent en effet être similaires, mais la relation n’est pas la même entre un fonctionnaire et l’administration qui l’emploie et c’est nier l’importance du contexte du travail. Nous ne sommes pas dans la loi ESSOC, mais dans le cadre des relations de travail et cette différence fondamentale semble perdue de vue par l’administration.

Nous avons posé la question de savoir si c’est celui qui décide qui participe à la médiation. En effet, dans le cadre de CAP nationales, les services RH des directions générales seront sollicités. En réponse, le médiateur du ministère indique que celui qui vient en réunion de médiation doit avoir mandat de sa hiérarchie. Ce n’est pas gagné.

 

Ce nouveau dispositif aurait pu être une voie supplémentaire de règlement des conflits si l’administration n’avait pas supprimé les CAP qui, elles, étaient un lieu où les représentant du personnel avaient toutes les informations utiles pour intervenir et régler les situation avant la décision de l’administration. En supprimant les CAP mobilités et promotions, l’administration assigne à la médiation un objectif de régulation du nombre de contentieux administratifs.

Sans se douter que si tous les agents qui estimaient avoir été lésés par une décision administrative saisissaient le médiateur, l’expérimentation serait pliée d’avance. L’administration faisant ainsi la preuve, par l’échec, de l’utilité des organisations syndicales.