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Laurent Berger "pour la CFDT, il est nécessaire de réhabiliter l’impôt"

Publié le 14/10/2015

Lorsque la CFDT parle de fiscalité ou de retenue à la source, elle exprime les attentes de l’ensemble des salariés.  Les adhérents et les militants de la CFDT aux Finances sont en première ligne sur ces sujets comme salariés parmi d’autres et comme professionnels. C’est à eux que Laurent Berger à choisi de s’adresser en accordant une interview exclusive à Finances Hebdo.

Pastille FH Le Président de la République a annoncé une baisse de l'impôt sur le revenu qui se traduirait par une diminution du nombre d'imposables. C'est une bonne nouvelle ?
Pastille LB

Ceux qui ne vont plus payer d’impôt sur le revenu ne vont sans doute pas s’en plaindre ! Mais c’est une mauvaise nouvelle pour la citoyenneté. On réduit trop souvent l’impôt à l’impôt sur le revenu. Dans l’esprit collectif, si on ne paye pas l’impôt sur le revenu, on ne paye pas d’impôt. Du coup une moitié de Français (54 % en 2016) finit par être considérée comme assistée par l’autre moitié. C’est faux bien sûr : l’impôt sur le revenu ne représente qu’à peine 7 % des prélèvements obligatoires et tous les ménages paient des impôts indirects à chaque fois qu’ils consomment. Mais les idées reçues ont la vie dure !
Pour la CFDT, il est nécessaire de réhabiliter l’impôt. Parce qu’il sert entre autres à financer les biens et services publics au profit de tous et par la redistribution qu’opère la dépense publique à réduire les inégalités. Et puisque décidément « impôt égal impôt sur le revenu », alors il faut faire le contraire de ce que le Président de la République a annoncé, que  tous les ménages paient, même de manière symbolique, un impôt sur le revenu pour être considérés, y compris par eux-mêmes, comme des citoyens à part entière.
En marge de cette question, on peut également s’interroger sur le bien-fondé de cette mesure dans l’état où se trouvent les finances publiques.

Pastille FH La fiscalité en France est-elle juste ? Faut-il la réformer ?
Pastille LB

La réponse est dans la question. L’essentiel des prélèvements sur les ménages consiste en des cotisations sociales, proportionnelles au revenu, et des impôts indirects. Or ces deniers ne pèsent pas de la même manière sur les ménages : les 10 % de ménages aux revenus les plus élevés paient deux fois moins d’impôts indirects par rapport à leur revenu que les 10 % de ménages aux revenus les plus faibles. Au total, l’impôt en France est peu progressif. Un rééquilibrage est nécessairequi suppose de faire grossir le poids des impôts progressifs dans l’ensemble des prélèvements et diminuer celui des impôts indirects.
Mais l’impôt sur le revenu lui-même est injuste. Parce que la plupart des niches fiscales ne profite qu’à ceux qui paient l’impôt et parce que le quotient familial peut considérablement limiter la progressivité du barème. La CFDT milite en faveur de l’individualisation de l’impôt qui passe en particulier par la transformation du quotient enfant (qui ne bénéficie pas ou peu aux ménages aux bas revenus) en crédit d’impôt identique par enfant quel que soit le revenu.

Pastille FH Peut-on faire la justice fiscale dans un seul pays ?
Pastille LB

Oui bien sûr. La France est d’ailleurs un des rares pays qui maintient le quotient familial et où le poids de l’impôt sur le revenu est aussi faible.
Ce qui est beaucoup plus difficile, c’est de parvenir à un juste équilibre entre la fiscalité des ménages et des entreprises. Or la course au moins-disant fiscal entre les divers pays, y compris au sein de l’Union européenne, a entraîné une forte baisse du rendement des principaux impôts sur les entreprises à commencer par l’impôt sur les sociétés. Inévitablement, c’est la fiscalité des ménages qui a été sollicitée pour combler cette baisse de ressources nécessaire au financement les dépenses publiques.
Il est clair que la France seule ne peut rectifier cette trajectoire. Dans une économie mondialisée relever la fiscalité des entreprises au niveau où elle était il y a vingt ou trente ans reviendrait à se tirer une balle dans le pied. C’est pourquoi la CFDT soutient toute proposition visant à l’harmonisation de la fiscalité des entreprises et à la suppression des paradis fiscaux.

Pastille FH La CFDT est-elle favorable à une fiscalité verte ?
Pastille LB

Oui bien sûr ! Le poids de la fiscalité environnementale française est l’un des plus faibles en Europe. Il faut que ça change, en donnant en particulier un prix au carbone. Il faut arrêter de faire un pas en avant puis un pas en arrière comme le gouvernement l’a fait sur l’écotaxe.
Il ne faut cependant pas se cacher la vérité : la fiscalité environnementale est constituée de taxes indirectes qui pèsent donc plus sur les ménages aux revenus les plus bas. Pour pallier cet inconvénient, la CFDT avance deux propositions. La première est de baisser d’autres taxes indirectes en compensation de la hausse des taxes environnementales. Quitte à ce que l’impôt ne soit pas juste, qu’il soit au moins incitatif au changement des modes de consommation. La seconde est d’instaurer des compensations pour les ménages aux bas revenus, par exemple sous la forme d’un chèque transport pour les personnes qui n’ont pas d’autre choix que se déplacer en voiture.

Pastille FH Pour répondre aux attentes des salariés, pour combattre la fraude, l'administration fiscale est-elle en retard ? A-t-elle les moyens ses ambitions ?
Pastille LB

La fédération a sans doute plus d’élément que moi pour répondre à cette question ! J’observe simplement que les administrations connaissent depuis dix ans des transformations majeures : création de la DGFIP par la plus grande fusion de services de l’Etat depuis la seconde guerre mondiale et amélioration spectaculaire du service rendu au public par un recours massif au numérique dont les déclarations par internet sont un exemple frappant.
J’observe aussi qu’une fois encore on met la charrue avant les bœufs en supprimant des effectifs à un rythme soutenu (2 % par an) alors que les réformes en cours n’ont pas produit tous leurs effets. Les conditions de travail se sont manifestement dégradées ainsi que le service rendu au public et en particulier à tous ceux qui n’ont pas accès à internet où hésitent à l’utiliser.

Pastille FH La retenue à la source est-elle un élément de la réforme fiscale ?
Pastille LB

La retenue à la source n’est qu’un mode de paiement de l’impôt. Je n’ai d’ailleurs pas entendu que le gouvernement proposait la moindre évolution de la fiscalité en lien avec cette annonce.
Il faut rappeler par ailleurs que, contrairement à ce que certains laissent croire, la retenue à la source n’est pas vraiment une mesure de simplification : les salariés devraient toujours faire une déclaration d’impôt à partir de laquelle serait calculé l’impôt réellement dû. Le travail de l’administration ne s’en trouverait nullement simplifié – il pourrait même s’en trouver accru dans l’hypothèse où la retenue serait opérée par les entreprises, ce qui nécessiterait d’augmenter les contrôles –, les entreprises verraient leur charges administratives s’accroître.

Pastille FH Mais alors les salariés ont-ils besoin de la retenue à la source ?
Pastille LB

Il n’y a en fait qu’une bonne raison qui puisse justifier la retenue à la source : la baisse de revenus que subit une partie des salariés l’année où ils doivent payer l’impôt sur les revenus de l’année précédente. C’est le cas de ceux qui partent en retraite mais plus fréquemment de tous ceux qui perdent leur emploi ou doivent en changer à des conditions de revenu inférieures. Ce phénomène toucherait près d’un tiers des ménages.
C’est pourquoi la CFDT ne s’oppose pas à la retenue à la source. Mais elle y  met deux conditions. La première est qu’il n’y ait pas de lien fiscal direct entre le salarié et l’entreprise. En aucun cas l’entreprise ne doit avoir connaissance du taux d’imposition du salarié. La DSN, déclaration sociale nominative, mise en place au 1er janvier 2016, pourrait être le véhicule adapté. Il suffit que la DGFIP en soit destinataire pour qu’elle puisse opérer les prélèvements. La seconde est que le salarié puisse modifier son taux de prélèvement si ses autres revenus éventuels évoluent en cours d’année.

Pastille FH Le gouvernement a affirmé à plusieurs reprises qu'il mettra en œuvre la retenue à la source. Quelle est ton appréciation sur ce projet ?
Pastille LB

Ce projet est très complexe techniquement et de nombreuses interrogations demeurent. Il peut être également très couteux pour les finances publiques : par exemple qu’adviendrait-il des crédits d’impôt pour l’emploi de personnes à domicile ? Les choix ne sont pas encore arrêtés et ce sont leurs modalités de mise en œuvre qui guideront notre appréciation.

Pastille FH Derrière la retenue à la source, n’y a-t-il pas d’autres projets ? La fusion IR-CSG par exemple ? Qu’en pense la CFDT ?
Pastille LB

Cette fusion éventuelle n’est pour l’heure qu’un slogan. Quand on fusionne, il faut dire quelles seront les caractéristiques du nouvel impôt. L’impôt sur le revenu est progressif, la CSG ne l’est pas. L’impôt sur le revenu est familialisé, la CSG est individualisée. Plus de 150 niches fiscales s’appliquent à l’impôt sur le revenu, aucune ne vient réduire le rendement de la CSG. A supposer que ces différences profondes soient réduites dans le sens que préconise la CFDT pour réformer l’impôt sur le revenu, se posera également la question de la garantie d’affectation d’une part du nouvel impôt à la Sécurité sociale. Ce projet est loin d’être abouti !