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Transfert : les salariés peuvent-ils refuser la modification du lieu de travail ?

Publié le 22/05/2019

En cas de transfert d’entreprise, les contrats en cours doivent être maintenus. Aussi, si le nouvel employeur entend modifier le lieu de travail des salariés pour des raisons économiques, il ne peut les licencier que pour un motif économique. Leur licenciement pour motif personnel est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cass. soc.17.04.19, n°17-17880.

  • Faits, procédure, prétentions

Une société cède son activité de vente et de commercialisation de fleurs par internet à une autre société.

A la suite de cette cession, les contrats de travail des salariés sont transférés à la société repreneur, en application de l’article L.1224-1 du Code du travail.

L’article L. 1224-1 du Code du travail, comme le droit européen (Directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001), prévoit que lorsqu’une entité économique autonome est transférée à une autre entreprise, les contrats de travail des salariés sont repris en l’état. C’est le principe dit du « maintien des contrats en cours ».

Le nouvel employeur souhaite, pour des raisons de rentabilité économique, rapatrier toutes les activités sur un même site. Il propose donc aux salariées reprises, qui jusqu’alors travaillaient à Nantes, de venir travailler à Orléans. Un certain nombre d’entre elles refusent ce changement de lieu de travail. Le nouvel employeur les licencie alors pour motif personnel.

Elles saisissent le conseil de prud’hommes et, en appel, les juges accueillent leurs demandes, estimant que les licenciements sont dépourvus de cause réelle et sérieuse.

L’employeur décide alors de saisir la Cour de cassation. Devant la Haute juridiction, l’employeur se prévaut pour l’essentiel de deux arguments.

Tout d’abord, les contrats de travail des salariées comportent une clause de mobilité.

De plus, par un arrêt de la Cour de cassation datant de 2016 (1) qui avait fait couler beaucoup d’encre, la Haute juridiction a semblé émettre un tempérament au principe de maintien des contrats en court en considérant que « le transfert (…) de l'entité économique à laquelle était rattachée la salariée avait entraîné par lui-même une modification de son contrat de travail », ce dont il résultait que « le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ». Bref, le principe de maintien des contrats en cours semblait écorné, tout du moins en ce qui concerne le lieu de travail puisque dans cette affaire le refus de sa modification pouvait en soi justifier le licenciement.

Et pourtant…Dans la présente affaire, la Cour de cassation ne l’entend pas exactement ainsi.

  • Le droit de refuser la modification du lieu de travail réaffirmé

La Haute juridiction rejette le pourvoi et approuve la Cour d’appel d’avoir considéré que le licenciement des salariées, prononcé pour un motif personnel, était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Haute juridiction rappelle tout d’abord que :« lorsque l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d’employeur, le salarié est en droit de s’y opposer ».

Autrement dit, le repreneur ne peut modifier les contrats sans l’accord des salariés. Le seul élément essentiel du contrat de travail qui peut être modifié sans leur accord (en application de la loi française) est la personne de leur cocontractant, c’est-à-dire de l’employeur (dans d’autres pays ce n’est pas le cas et la Directive n’impose pas ce caractère impératif du changement d’employeur).

Les salariés sont donc parfaitement en droit de refuser la modification de leur lieu de travail dès lors que celui-ci constitue un élément essentiel du contrat de travail. Ce qui est le cas de la sphère géographique, du moins en l’absence de clause de mobilité.

  • Au risque de s’exposer à un licenciement pour motif économique justifié

Ainsi que l’exprime la Haute juridiction, le refus par le salarié d’une modification du contrat résultant d’un transfert ne peut constituer une cause de licenciement pour motif personnel : « la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification du contrat de travail, proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique ».

Or, en l’espèce, les salariées avaient été licenciées pour motif personnel. Ce que l’employeur tentait de justifier par la présence d’une clause de mobilité dans leurs contrats. Sauf qu’il avait évoqué des raisons d’ordre économique dans la lettre de licenciement, à savoir la volonté de l’entreprise de ne conserver qu’un seul lieu de production dans un but de réaliser des économies.

Aussi, pour la Cour de cassation « le motif réel du licenciement résultait donc de la réorganisation de la société (…)  à la suite du rachat ».

Une solution bienvenue en ce qu’elle préserve le droit des salariés au maintien des éléments essentiels de leurs contrats en cas de transfert.

Il faut noter toutefois plusieurs bémols, au premier rang desquels, le fait que si le nouvel employeur peut s’appuyer sur une justification économique valable et qu’il rédige bien la lettre de licenciement (ce qui manifestement n’était pas le cas en l’espèce), le droit au refus des salariés pourra tout de même se solder par un licenciement économique justifié.

Vient ensuite une interrogation : le licenciement aurait-il été considéré comme justifié si l’employeur s’était clairement fondé sur le refus d’exécuter le contrat en application de la clause de mobilité ? Rien ne permet d’affirmer le contraire.

Toutefois, on peut remarquer que la Cour de cassation se réfère au « motif réel » de licenciement, ce dont on peut inférer que ce qui sera pris en compte par les juges c’est bien la cause exacte des licenciements, au-delà des motifs avancés.

En tous cas, cette affaire est révélatrice de l’importance de la rédaction de la lettre de licenciement !

  

(1)   Cass.soc.1. 06.16, n°14-21143.

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