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Recouvrement des contrôles fiscaux - Les curieux chiffrages de Darmanin

Publié le 24/10/2019

Un an seulement après l’entrée en vigueur de la « loi Fraude », peut-on réellement tirer des résultats probants d’une loi aux tenants complexes et aux contours si divers ? Son auteur, Gérald Darmanin, y a constaté une amélioration du recouvrement suite à contrôle fiscal. Il a tenu à le faire savoir hier à la Plaine Saint-Denis au siège de la direction régionale du Contrôle fiscal d'Ile-de-France. Mais derrière le "Darmashow" à la Dirco, y a-t-il vraiment matière à se féliciter et à tirer quelques conclusions ?

Etonnant et inhabituel exercice ministériel ce mercredi 23 octobre au siège de la Dircofi Ile-de-France. A une encablure du Stade de France, Gérald Darmanin entendait « fêter » les « Un an » d’une loi. En l’occurrence, « sa loi Fraude » ! Pour ce faire, le ministre, accompagné de son homologue de la Justice, Nicole Belloubet avait convoqué les médias avec des représentants des deux ministères. Objectif : vendre les résultats, réels ou présumés, que cette loi aurait permis.

Restait à trouver le ou les bons indicateurs dans le large panel qu’offre la DGFIP… Et, visiblement, le recouvrement suite à contrôle fiscal a semblé porteur aux communicants.

En effet, après le coup du prélévement à la source qui aurait rapporté 2 milliards € de plus à l’IR (NDLR : ce qui est discutable pour un impôt dont on ne connaîtra l’assiette qu’en 2020), ce serait au tour du contrôle fiscal. Qu’y a-t-il de plus bénéfique pour un ministre du Budget que d’affirmer que l’argent rentre mieux dans les caisses de l’Etat … surtout s’il peut s’en attribuer les mérites ? Mais est-ce vrai ?

Suite aux contrôles fiscaux, l’Etat aurait recouvré 5,6 milliards d’euros entre janvier à septembre 2019 contre 4 milliards en 2018 sur la même période des 9 premiers mois. De quoi afficher une hausse de 40 % …sauf que ces montants doivent, a minima, être regardés avec la plus grande prudence. En voici les raisons :

  • La période prise en compte discutable

Une période de 9 mois pour agréger des résultats remontant de toutes les directions locales, régionales et nationales est discutable. En 2018 – sur l’année complète – 7,7 milliards d’euros auraient a priori été récoltés par la chaîne du contrôle fiscal (mais de quels chiffres parle-t-on alors que le rapport annuel d’activité de la DGFiP indique 8,7 milliards d’encaissements ?). Avec 4 milliards encaissés en 9 mois et 7,7 milliards sur 12 mois, ce sont donc 3,3 milliards qui ont été engrangés en …3 mois seulement. A ce compte, en prenant pour référentiel le dernier trimestre 2018, c’est donc plus de 12 milliards qui auraient dû rentrer dans les caisses de l’Etat ! Sauf qu'en la matière, tout est loin de n'être que proportions et régularité.

  • Effets de la « loi Fraude » sur le recouvrement ? A relativiser fortement...

Mettre en parallèle le recouvrement de créances nées majoritairement avant à la « loi Fraude », et au plus tard au 31 décembre 2018, avec des mesures découlant de ladite loi dont la mise en œuvre a, au mieux, débuté courant 2019 est assez déroutant et relève plus surement de l'incantation.

En réalité, l’effet de la « loi Fraude » sur le recouvrement des créances suite à contrôle fiscal en 2019 est difficilement quantifiable, pour peu qu’il existe en dehors du recouvrement "rapide" obtenu dans l’affaire Google, et de quelques effets du genre.

  • La prise en compte d'éléments exceptionnels

Parmi les éléments qui gonflent le recouvrement des 9 premiers mois de l’année, il y a des affaires « hors norme » comme Google (465 millions €) qui a profité d’une des nouveautés de la « loi Fraude », à savoir la procédure de CJIP (cf. ci-dessous). D’autres affaires d’ampleur ont d’ailleurs pu connaître des aboutissements financiers sans lien avec la loi fraude – et encore moins avec la « fouille de données » (data mining), instrument utilisé à tort et à travers dans la communication ministérielle – mais dans le cadre des procédures classiques ou d’une utilisation pertinente du pouvoir d’audition.

Comme le disent les analystes financiers, il convient de corriger les chiffres des variations saisonnières, au risque d’avoir des chiffrages sans réelle cohérence. Pire, ces éléments « événementiels » peuvent parfois masquer une situation qui en réalité se dégrade.

  • La vérité est dans le taux ?

Il est une chose que savent les connaisseurs de l’indicateur de recouvrement des contrôles fiscaux : il est considéré par tous, et depuis longtemps, comme volatil et difficile à utiliser pour comparer l'efficacité du recouvrement d'une année sur l'autre.

En l’espèce, on peut envisager que celui pris en compte cette année soit le taux en vigueur à la DGFiP depuis 2018, le poétique « CF-41 »*. Tous sauf un droïde, cet indicateur est utilisé depuis 2018 en lieu et place du défunt « GF-15 »** dont il diffère tant par le périmètre que par l’année de référence (N-1 contre N-2 pour son prédécesseur).

  • L'absence de permanence du référentiel

Pour bien comparer, il faut des invariants. Outre la période qui, on l’a vu, n’est pas pertinente, il s'avère qu'elle n’a jamais été utilisée précédemment. Ce nouveau référent ressemble donc à un artéfact mis en œuvre pour l’exercice de communication.

Il en est ainsi des chiffres, en les tordant, voire en les manipulant, on peut leur faire avouer des éléments non probants. Comme dit l’adage, « c’est à la fin du comice qu’on compte les bouses ». Une sentence que la grand-mère de Gérald Darmanin, à laquelle il fait si souvent référence, ne devait pas utiliser.

 

Plaintes pour fraude fiscale (fin du privilège du « verrou de Bercy »)

Sur le volet plus judiciaire de cette loi, les satisfecits des participants ont été nombreux. Là encore, quelle valeur donner à un chiffrage partiel, voire partial. Rappelons que la « loi Fraude » a un spectre large (mais peu impactant sur les moyens mis à disposition du recouvrement) : police fiscale ; fin du privilège de Bercy dans la transmission des plaintes pour fraude fiscale ; « justice négociée » étendue à la fraude fiscale avec la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CPRC ou « plaider coupable ») et la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP, c’est-à-dire transaction conclue entre le parquet et des personnes morales mises en cause, mais sans reconnaissance de culpabilité) ; publicisation d’agissement frauduleux (name and shame, qui n’a pas encore été mise en œuvre ; sanction administrative à l’encontre des intermédiaires facilitant la fraude fiscale de leur client, etc.

Décortiquons un élément, celui emblématique dit du « verrou de Bercy ».

Les transmissions au parquet sont désormais automatiques dans certains cas de fraude intentionnelle et/ou répétée. En 2018, l’Etat avait estimé qu’avec la nouvelle loi, 5 000 plaintes pour fraude fiscale seraient dénoncées à la Justice contre, bon an, mal an, 1 000 plaintes auparavant avec le « verrou de Bercy ». Alors que l'année 2019 s'achève dans 2 mois, les deux ministres ont annoncé que 1 106 dossiers avaient été transmis à l’autorité judiciaire. Et ils évoquent un doublement des dossiers transmis par rapport à la même date. Un véritable enfumage au regard des prévisions avancées il y a un an !

Sur les 9 premiers mois de l’année, 587 dossiers ont effectivement été transmis selon la nouvelle voie de dénonciation obligatoire et 482 plaintes déposées après avis de la CIF (commission des infractions fiscales). S’y ajoutent, 38 plaintes pour présomption de fraude fiscale permettant d’alimenter les officiers fiscaux judiciaires du SEJF (service d’enquête judiciaire des Finances) et ceux placés au sein du ministère de l’Intérieur dans l’ex-BNRDF (brigade nationale de répression de la délinquance fiscale) dorénavant Office central.

Sans doute a-t-on oublié au passage que, pour appuyer la justice dans le traitement de l’afflux de ces dossiers et ainsi assumer la bonne exécution de cette mission, des effectifs supplémentaires sont nécessaires.

En conclusion, derrière ces chiffrages aléatoires, reste une réalité, celle des fonctionnaires des Finances publiques que ces coups médiatiques lassent ! Pas plus que la fouille de données, la loi Fraude n’a amélioré leur quotidien. Un quotidien qui s’est en fait plutôt obscurci avec l’application de la loi ESSOC, dans un environnement plus défiant que confiant. Défiance que le président de la République alimente lourdement lorsqu’il décide d’en rajouter, façon « effets de manches et start-up nation ». A l'occasion du forum annuel BPI le 10 octobre dernier, il a invité les entrepreneurs à rappeler à l'envie le droit à l'erreur évoquant des agents caricaturés à l'extrème mettant « pour la première fois la douille ». Quelle image renvoie ce chef d'Etat de ses fonctionnaires dont les missions sont encadrées et contrôlées et les prérogatives exercées sur la base de textes ?

 

Qu'y a-t-il derrière le changement d'indicateur de recouvrement ?

Le changement de période devait – paraît-il – rapprocher l’indicateur de recouvrement des créances de contrôle fiscal (CFE et CSP) de l’activité quotidienne des services en réduisant le temps écoulé depuis la mise en recouvrement. Mais, avantage incident, il est net des créances de contrôle fiscale sur lesquelles le comptable est empêché d’agir (ex. : les liquidations judiciaires) et, plus important, de celles bénéficiant d’une suspension légale ou administrative de paiement. Ainsi calculé, il bénéficie d’une variabilité conjoncturelle qui rend très hasardeuses les affirmations péremptoires de meilleur rendement.

 

* : taux net de recouvrement DGFiP en droits et pénalités sur créances de contrôle fiscal (CFE et CSP) prises en charge en N-1. Particuliers et Pro.

** Taux net de recouvrement DGFiP en droits et pénalités sur créances de contrôle fiscal externe au titre de l'année N-2.