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Droit de réponse : la parole à un comptable d’une trésorerie de proximité

Publié le 23/10/2019

Dans sa lettre du 4 octobre dernier adressée aux comptables, le directeur général de la DGFiP rappelle l’importance du rôle des comptables publics ainsi que celle de la séparation ordonnateur-comptable en affirmant y être très attaché. Cependant, le DG suscite des réactions de la part des collègues comptables quant à l'impact de la réforme du nouveau réseau de proximité lancé par le ministre Darmanin. La CFDT FInances publiques donne la parole à un comptable d'une trésorerie de proximité.

Dans sa lettre du 4 octobre dernier adressé aux comptables, le directeur général de la DGFiP rappelle l’importance du rôle des comptables publics ainsi que celle de la séparation ordonnateur-comptable et affirme y être très attaché.

Pourtant, le projet de réforme du réseau comptable porté par le ministre de l’action et des comptes publics (MACP) laisse planer de sérieux doutes sur les moyens dont disposeront les comptables publics, dans la nouvelle organisation, pour assurer en proximité la gestion budgétaire et comptable et l’accompagnement des décideurs locaux au quotidien.

En effet, le nouveau réseau de proximité (NRP) voulu par le ministre prévoit un double mouvement de concentration du réseau et de séparation des fonctions de gestion et de conseil.

La concentration du réseau aboutirait à la suppression d’environ 60 % des trésoreries actuellement existantes et à la transformation des implantations restantes en services de gestion comptable (SGC). Le périmètre d’activité de ces SGC sera considérablement élargi par rapport à celui des trésoreries actuelles. De trésoreries assurant la gestion de 40 collectivités locales (CL), on pourra passer à des SGC gérant 400 CL. Dans ce contexte, le métier du comptable public sera radicalement transformé. Il ne pourra plus exercer ses missions avec la même proximité vis-à-vis de ses interlocuteurs et ne pourra plus disposer d’une connaissance aussi fine du territoire, des CL et des différents établissements s’y rattachant.

Pour les usagers redevables de produits locaux (PL), c’est l’assurance de kilomètres supplémentaires pour gérer leurs difficultés de paiement ou obtenir un renseignement précis sur leur situation. C’est aussi l’assurance d’être encore plus un « numéro » au milieu d’une « masse » de redevables. Avec la fin des trésoreries mixtes c’est l’impossibilité de gérer conjointement ses difficultés de paiement des impôts et des factures de PL.

Même si les effectifs des SGC seront renforcés par rapport aux trésoreries actuelles, et si des adjoints aideront le comptable public à assurer ses missions, l’objectif de suppression de 4800 ETP à l’horizon 2022, le renfort ne sera pas proportionnel à l’augmentation de la charge de travail. L’industrialisation entraînera nécessairement une prise de distance entre le service public et ses usagers (ordonnateurs et redevables).

En outre, c’est à juste titre que le DG précise que l’interlocuteur habituel des collectivités restera le SGC. En effet, bien que les fonctions de conseil « régulier » (appui à la confection des budgets et du compte de gestion, analyse financière, qualité comptable, contrôle interne, etc.), « thématiques » ciblé en fonction de l’actualité des réformes ou encore « à la carte » pour répondre à des demandes spécifiques des collectivités soient confiées à des conseillers aux décideurs locaux, le comptable du SGC et son équipe continueront à assurer le conseil de gestion au quotidien.

Par expérience, et pour en avoir parlé avec de nombreux élus de terrain, l’attente de la plupart des décideurs locaux des CL se situe sur l’aide au quotidien, sur des questions qui concernent, par exemple, une imputation budgétaire, une opération comptable, un soutien à l’équipe administrative. Nous avons régulièrement des questions qui peuvent concerner des sujets hors de notre sphère de compétence comme, par exemple, des problèmes informatiques sur le blocage de l’envoi d’une pièce comptable. La majorité des collectivités que nous gérons ont des équipes administratives plus que restreintes, voire à temps non complet. Le ou la secrétaire de mairie, qui ne travaille sur sa commune que quelques heures par semaine, doit dans ce laps de temps gérer l’état civil, l’urbanisme et autres problèmes divers.  De fait, le ou la secrétaire de mairie compte souvent sur l’équipe de la trésorerie pour l’aider sur des problèmes de prise en charge de pièces comptables, le but étant de payer les entreprises dans un délai le plus court possible.

Or, si à l’heure actuelle, malgré de nombreux regroupements de trésoreries, le comptable et son équipe arrivent encore à assurer un conseil quotidien personnalisé et à épauler efficacement les décideurs locaux, ce ne sera plus le cas dans une organisation massifiée qui marginalisera les collectivités à enjeux financiers proportionnellement moins importants. Une collectivité, noyée au milieu de 400 autres, ne trouvera plus l’appui qu’elle peut avoir actuellement tant au niveau du comptable que de l’équipe de la Trésorerie.

Des fonctions de conseil et de gestion artificiellement séparées sans gain pour les usagers ordonnateurs

Le projet porté par le ministre prévoit la mise en place de conseillers aux décideurs locaux (CDL) pour pallier le déficit de proximité créé par la concentration des fonctions de gestion dans les usines à comptabilité que seront les SGC.

Les CDL seront déconnectés de la gestion des collectivités et manqueront de matière pour effectuer efficacement leur tâche. En effet, l’intérêt du système actuel réside dans la symbiose entre les fonctions de conseil et de comptable qui se nourrissent réciproquement. Par exemple, l’aide à l’élaboration des budgets, là encore, nécessite de connaitre le tissu local, l’historique de la Collectivité, le niveau qualitatif de sa comptabilité. Ce qui fait l’efficacité du comptable public, c’est en grande partie la connaissance du terrain et les liens qu’il a su tisser avec les élus locaux. Le futur système, en séparant conseil et gestion, va faire disparaître ces synergies.

Par ailleurs, le CDL risque de manquer sa cible. En effet, dans la plupart des grandes CL des services aptes à assurer le conseil de l’ordonnateur existe déjà. À l’opposé, si je me projette sur les futures fonctions de conseiller aux décideurs locaux, j’ai du mal à voir comment je vais pouvoir efficacement assurer cette mission. Les petites communes ne sont pas demandeuses d’une analyse financière par an, – ce qui n’aurait de toute façon aucun intérêt –, ou de conseils complexes, mais bien plus de l’accompagnement au quotidien qui sera du ressort du SGC

Ce sont donc les petites et moyennes collectivités qui perdront le plus avec cette réforme. Bien que les plus nombreuses, elles ne sont visiblement pas les plus importantes aux yeux du ministre. Pourtant, en France, les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur près de 35 000 communes, plus de la moitié ont moins de 500 habitants, 80 % ont moins de 1500 habitants et plus de 90 % ont moins de 3500 habitants.

En outre, comment ne pas s’étonner du contraste affiché entre l’ambition de mettre en place une filière d’expertise à haute valeur ajoutée comme celle des CDL, et les moyens en termes de formation ou de gestion des carrières que la DGFiP compte y consacrer. Aucune filière professionnelle permettant de construire une carrière de CDL au travers d’un parcours fonctionnel et de formations au long de la carrière n’a encore été proposé. La seule formation introduite par la DGFiP à ce jour se limitera à 5 jours de « formation socle » pour tous les nouveaux CDL en octobre/novembre. Des formations complémentaires « à la carte » sont envisagées selon les besoins, mais a posteriori. L’absence d’un réel projet de construction d’une formation « amont » et de parcours de carrière permettant de se préparer à des fonctions à haut niveau d’expertise, laisse présager un dépérissement progressif de la fonction de CDL

Des agents des finances publiques au service des collectivités locales toujours plus sous pression

L’impact au quotidien sur les personnels de la DGFiP qui seraient amenés à travailler dans les SGC sera délétère. Je vois dans ces grosses structures une perte d’intérêt dans le travail pour les agents. Actuellement, une trésorerie de 5 à 8 personnes chargée de la gestion de 40 à 50 collectivités peut maintenir une diversité des tâches, ce qui permet de garder une vision globale de la situation d’une collectivité. A contrario, dans une grosse structure telle qu’un SGC, le travail sera nécessairement scindé en pôles (recettes, dépenses et comptabilité). Les tâches y deviendront beaucoup plus répétitives, donc sans vision globale et de moindre intérêt, avec des risques accrus de burnout dans ces équipes.

Pour le comptable public, c’est aussi une moindre maîtrise de son environnement professionnel. La séparation ordonnateur-comptable, – fondamentale pour assurer aux citoyens la bonne gestion des deniers publics –, est étroitement liée à la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable. En gestion massifiée, elle devient plus difficile à assumer pour le comptable public.

Globalement, c’est une réforme qui déshumanise le travail et éloigne l’usager (redevable de produits locaux ou décideur local) de son interlocuteur.

Dans cette réforme, les agents, – comptable compris –, ont une fois de plus l’impression d’être des pions et se sentent méprisés tant les missions qu’ils exercent au quotidien sont dévalorisés par la brutalité des décisions prises à Bercy.

Pour tous, c’est une mobilité fonctionnelle et/ou géographique qui s’annonce. Ce ne sera pas sans contraintes ni sans efforts car il faudra souvent allonger les trajets et parfois apprendre de nouveaux métiers.

Il y a la forme également.  Étonnant d’apprendre que le régime des indemnités de conseil est appelé à s’éteindre en 2020, dans un paragraphe perdu dans un courrier de deux pages, sans en informer, au préalable, les organisations syndicales, représentant les personnels. Sur un sujet aussi sensible, la méthode est plus que critiquable et tous les détails concernant l’impact de cette décision ne sont pas fournis. Que se cache-t-il réellement derrière de telles décisions prises en catimini ?

Une réforme qui met en péril le pacte républicain

Pour ma part, je travaille en trésorerie SPL depuis de nombreuses années. Cette réforme m’inquiète particulièrement pour les élus locaux que j’ai appris à apprécier tout au long de ces années à travailler à leurs côtés. La démocratie locale va souffrir de ce repli de la DGFIP. L’immense majorité des élus locaux de collectivités de taille modeste, voire très modeste vont voir les conditions d’exercice de leurs fonctions se dégrader. Pour moi, Bercy est en train de sacrifier les plus petites collectivités avec la pire des hypocrisies en osant affirmer les servir mieux dans les années à venir.

Ce contraste saisissant entre abandon des plus faibles et mensonges sans vergogne est un cocktail explosif qui risque de participer activement aux phénomènes de sécession en cours. Le service public local comptable et fiscal est un enjeu démocratique qui mérite plus qu’un traitement budgétaire sans vision et sans ambition.

 

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