Retour

Contrôle fiscal & RH – « Suivi de compétences » : un pastiche d'outil managérial

Publié le 20/11/2018

Présenté comme un nouvel outil managérial « bienveillant », le « suivi de compétences » s’était fait discret ces derniers mois. Déjà expérimenté et mis en place à la Centrale où il a parfois fait craindre d’être utilisé pour effectuer des pressions sur des collègues dont la hiérarchie ne voulait plus, le « suivi de compétences » est dorénavant promis aux vérificateurs et chefs de brigade dans les services du contrôle fiscal …Avant plus ample extension ?

Deux ans durant, le « suivi de compétences » sera expérimenté par 13 DDFiP/DRFiP* et la DIRCOFI Est. Ce nouveau dispositif s’affirme sans complexe « outil de pilotage et de management dynamique ». Il est censé « reconnaître et valoriser l’expérience et les acquis professionnels des cadres » et faire « face à l’évolution des métiers et attentes professionnelles dans l’exercice des missions du contrôle fiscal », dixit trois notes signées du DGA, Antoine Magnant, le 18 juin. Un véritable appel !

Pied sur le frein ?

En attendant, pour un dispositif devant être mis en œuvre …en 2018, celui-ci n’avait guère fait parler de lui localement. Mais, la fin de l’année arrivant, certains directeurs expérimentateurs l’évoquent dorénavant. De quoi ajouter un peu de piment managérial à une année 2018 qui n’aura pourtant pas manqué d’actualité : néo-pilotage du contrôle Fiscal (CF) et refonte des indicateurs avec son lot d’incompréhensions, procédure d’Examen de comptabilité (EC) en régime de croisière, absorption de listes « DM » (requêtage de données), nouvelle loi contre la fraude, mais surtout conséquences de la loi ESSOC.

Interrogée par la CFDT lors du groupe de travail « Actualité du Contrôle fiscal » du 10 octobre, la DG a pu donner l’impression de ne pas trop appuyer sur l’accélérateur de cet énième chantier. Prudente, Maïté Gabet, chef du Contrôle fiscal, a tenu à redire qu’il n’y avait dans ce projet « au stade de l’expérimentation », ni obligation, ni sanction, ni inscription dans le dossier… Et pour ceux qui pourraient l’appréhender comme un entretien d’évaluation bis ou surabondant, il aura été redit qu’il n’en était rien.

De même, la DG assure que l’expérimentation n’entraînera pas nécessairement une généralisation… et que toute généralisation sera précédée d’un bilan avec les organisations syndicales. Chiche ! Promesse a été faite que celui-ci serait présenté fin 2019, voire en 2020. La CFDT se félicite par avance qu’une étude d’impact soit réalisée et qu’une réforme soit discutée en incluant les partenaires sociaux.

Un néo-outil …chronophage et redondant

Toujours est-il que se pose l’intérêt de cette nouvelle machinerie …chronophage, facultative, redondante – quoi qu’on en dise –, et au cadre plus que discutable ? Et quelle impérieuse nécessité y avait-il à lancer un tel projet ? La dense actualité législative et procédurale n’impliquerait-elle pas, par prudence, de ne pas courir plusieurs lièvres à la fois ? Il faudrait au contraire s’interroger sur le fait qu’il y a parfois des difficultés à pourvoir certains postes, voire à en maintenir dans la sphère du CF. En visant les services centraux et le contrôle fiscal, la note renvoie à une certaine reconnaissance pour des missions techniques et très évolutives. Mais, Bercy y répond de la plus mauvaise façon.

L’enfer est pavé de bonnes intentions…

Pastichant le « Bilan de compétences », tant dans son nom que dans les intentions affichées, le « suivi de compétences » en reste éloigné.

  • S’agissant du Bilan de compétences, il s’adresse aux fonctionnaires après avoir été initialement disposé par le code du travail. Il est encadré réglementairement par un décret relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des fonctionnaires (décret n° 2007-1470 du 15 octobre 2007, cf. lien infra). Le bilan de compétences peut être demandé par l’agent public ou proposé par l'administration. La demande peut se faire à l'occasion de l’évaluation annuelle... Il fait l'objet d'une convention tripartite entre l'agent bénéficiaire, l'administration et un prestataire extérieur et indépendant. L’appel à des professionnels des questions RH est le garant de la pertinence du bilan. A chacun son métier comme l’a déjà rappelée la CFDT. Mais cette intervention externe a nécessairement un coût. Est-ce la raison pour laquelle la DGFiP a décidé de créer son propre outil ? Est-ce pour mieux en maîtriser l’impact ?

Comme sur d’autres sujets (les ZUS par exemple, dossier sur lequel il a fallu longuement batailler), la DGFiP décide d’être en dehors des clous et de ne pas se conformer à la loi commune, situation qui disqualifie ce projet. Mais pour bien d’autres raisons également.

  • On peut relever une disproportion entre les objectifs affichés de cette procédure (identifier les besoins en compétences nouvelles, faire face aux nouvelles exigences d’un métier, mettre en place des actions de formation pour acquérir les compétences attendues) et les informations relatives aux moyens. La DGFiP est peu disserte. Sur le papier, le « suivi de compétences » entend :

-       Mettre en valeur les qualités professionnelles et les compétences des agents.

Mais avec quelle valorisation : satisfecit oral, pécuniaire, carrière, etc. ? ; en favorisant le collectif ou l’individuel ?

-       Accompagner les personnels dans leurs besoins de formation.

Mais se pose la question de l’accès à l’offre de formations, notamment territorialement.

-       Proposer de nouvelles orientations professionnelles.

Mais celles-ci seront-elles contraintes ? ; à choix unique ou multiple ? ; de quelles marges de manœuvre disposeront les personnels ?

Se pose aussi la question de qui juge et avec quel degré d’impartialité. Le projet écarte le chef de brigade, lui-même soumis au dispositif. Pour les BDV/BVR (brigades de vérification départementales ou régionales), une très grande latitude est laissée aux directeurs locaux sur les modalités d’entretien. En la matière, ceux-ci, auront déjà les coudées franches avec les nouvelles règles de mutation. Si on ajoute la fin des recours en CAPN, l’éventuelle augmentation des « postes aux choix » dans la sphère du CF, il peut être craint – au vu de certaines pratiques – qu’un pilotage « flattant plus la stat. » devienne la menée de certains directeurs. Ce qui aurait des conséquences sur les pratiques RH. Sachant qu’il n’est plus si commun d’avoir une chaîne hiérarchique au fait du CF, on peut s’interroger sur la pertinence de jugements portant sur la compétence de leurs subordonnés. Une situation qui a tendance à renforcer un pilotage RH sous le prisme des indicateurs, oubliant la réalité du temps des procédures et leur technicité.

Mais il faut se rassurer. Selon ses promoteurs, ce suivi « s’inscrit dans le cadre d’un management bienveillant et attentif » autant que « dynamique ». Cependant, dès lors qu’il existe des managements qui réussissent, et qui sont la réalité d’un certain nombre de collègues, ne pourraient-ils pas être une base d’expérimentation ? Par la même occasion, les managements malveillants ne pourraient-ils pas être circonscrits ? Et que dire de réflexions managériales postulant qu’un agent ayant de l’ancienneté sur un poste perdrait en motivation, en actualisation de ces connaissances, en dynamisme, etc. Au contraire, il conviendrait de continuer à faciliter les transmissions d’expériences, qui sont un autre aspect de la formation et qui relèvent concrètement de la saine valorisation.

Pour la CFDT, il faut revenir à certaines réalités. Si la DGFiP doit valoriser les compétences de ses agents, elle doit s’attacher à avoir une politique RH pour les mettre en valeur avec les outils réglementaires prévus. Elle doit valoriser son personnel par une reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle (RAEP).

Ce dont a besoin le contrôle fiscal, vérificateurs, encadrement de proximitéet tous ceux qui contribuent à cette chaîne, c’est de soutien technique, de veille de l’environnement fiscal, notamment international, de retour et de mutualisation d’expériences, de confiance, de procédures adaptées, d’applicatifs opérationnels, de pérennité pour les services. Si création d’un nouveau dispositif il doit y avoir, celui-ci doit intégrer les attentes des personnels.

En sus de l’entretien annuel, la proximité et le dialogue constant doivent permettre que personnels et encadrants soient normalement à même d’identifier les besoins en formation avec, en final, la valorisation des agents. Si des insuffisances sont constatées et des améliorations envisageables, il faut ajuster les outils existants et rendre du temps aux chefs de brigades en supprimant des tâches inessentielles.

Dernièrement, un directeur du grand ouest justifiait l’intérêt du dispositif envisagé en considérant que l’actuel système n’était pas pertinent puisqu’il ne relevait que des agents « excellents » (NDLR : sans doute devrait-il s’en féliciter). Sauf que l’actuel outil d’évaluation n’a pas pour résultat d’attribuer que des « excellents », loin s’en faut. Surtout, en tant que chef, et donc en tant que responsable, ne lui appartient-il pas, en lien avec ses équipes, d’apporter les correctifs jugés utiles… dans le cadre d’un management à l’écoute ?

Quoi qu’il en soit, comme en cuisine, rajouter une épaisseur à l’existant n’améliorera pas la préparation, elle la rendra juste plus lourde.

 

[* : Corse du sud, Loire-Atlantique, Morbihan, Moselle, Oise, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques, Tarn, Tarn-et-Garonne, Vaucluse, Vendée, Guadeloupe et Martinique]

https://www.cfdt.fr/portail/vos-droits/fiches-juridiques/formation-professionnelle/bilan-de-competences/bilan-de-competences-rec_66706

https://www.fonction-publique.gouv.fr/bilan-de-competences

https://finances.cfdt.fr/portail/finance/federation/finances-publiques/loi-de-lutte-contre-la-fraude-creation-de-la-police-fiscale-dite-de-bercy-mais-inquietudes-pour-le-controle-fiscal-srv1_621572