Rapport Gardette : le Mercato des taxes est ouvert

Publié le 13/09/2019

Le ministre s’appuie très largement sur les préconisations du rapport Gardette pour prendre la décision d'unifier le recouvrement fiscal. Le décret portant création de la mission France Recouvrement a été publié le jour même de la réunion (12 septembre) tandis que le calendrier du transfert des taxes est inscrit dans le PLF 2020 qui sera rendu public le 25 septembre prochain. Il abandonne l'idée d'une agence unique de recouvrement à l'horizon 2022 et d'un transfert total des taxes douanières.

 

Pour le ministre, la Douane et la DGFiP ont vocation à demeurer dans la durée au sein du ministère.

Pour autant la CFDT et la CFTC estiment que les décisions à venir sur le transfert d’une grande partie des fiscalités douanières à la DGFiP ainsi que la quasi-totalité de son réseau de recouvrement vont déstabiliser en profondeur la direction générale des Douanes. Quant à la DGFIP, elle a déjà subi tant de suppressions d’emplois qu’elle n’est pas en mesure d’absorber de manière satisfaisante cette charge de travail.

Un bout de rapport 

La la CFDT et la CFTC a réitéré sa demande faite auprès du ministre de pouvoir disposer du rapport complet afin d’avoir une vision d'ensemble. En effet, l’unification du recouvrement est un sujet immense et lourd d’enjeux pour les missions et les personnels du ministère des Finances, mais également ceux de la sphère sociale, au-delà même de la Direction de la Sécurité Sociale et de l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS).  

La réponse a été une nouvelle fois renvoyée à la décision de la ministre de la Santé et des Solidarité. La CFDT l’a déjà saisie. 

Les différentes phases du projet 

Une « mission France Recouvrement » pilotera l’unification du recouvrement à l'intérieur de chaque sphère fiscale et sociale. Le rapporteur insiste sur le fait que le recouvrement est un métier spécifique et qu'il est plus efficace en globalisant les créances à recouvrer pour un même entrepreneur. Le développement de l’application ROCSP à la DGFiP poursuit cet objectif. 

Les différentes étapes du projet, interdépendantes et menées de front pour les 3 premières, se déclineraient comme suit :

  • Un « socle », dont la mise en œuvre serait initiée dès maintenant, consistant à :
    • Réaliser l’unification du recouvrement dans chaque sphère fiscale (transfert des taxes de la Douane vers la DGFiP) et sociale
    • Accroître l’efficience des deux sphères
    • Faire converger les deux sphères grâce, en particulier, au portail commun et à une harmonisation procédurale. 
  • Expérimenter au sein de la DGFiP un acteur unique du recouvrement forcé. ROCSP est un des piliers de cette expérimentation et la DG en attend des gains d’efficacité et de coût du recouvrement forcé ainsi qu’une une mise en commun du recouvrement forcé des deux sphères.
  • Laisser la possibilité d’un collecteur unique fiscal et social à l’horizon d’une décennie. 

 

L’intendance suivra 

Les directeurs généraux de la DGFiP et de la Douane ont insisté sur le fait que, contrairement aux transferts précédents (taxes sur les Boisons Non Alcoolique – BNA - par exemple), nous nous situions très en amont du projet et que la discussion avec les organisations syndicales était ouverte. La CFDT et la CFTC les prendront donc au mot ; si des amendements au projet actuel sont possibles nous irons les chercher. 

La CFDT et la CFTC ont demandé communication des fiches d’impacts en termes d’emplois, budgétaire et organisationnel. La directrice générale des Douanes a reconnu qu’aucune fiche d’impact n’avait été réalisée. Nous avons demandé à en disposer rapidement afin d’avoir tous les éléments pour les discussions à venir. 

Sur le plan des ressources humaines, les DG de la Douane et de la FIP n’excluent pas la possibilité de suivre de la mission. Ils n’en font pas une règle générale et ne donne pour autant à ce stade aucune garantie. Là aussi nous serons vigilants ! 

 

Les annonces : 

L’agence unique de recouvrement fiscal et social est abandonnée 

Lors du Comité interministériel de la transformation publique (CITP) du 11 juillet 2018, le Gouvernement avait pris la décision de créer en 2022 une agence du recouvrement fiscal et social. Le ministre a renoncé à l’idée de mettre en place cette agence.  

L’idée était déjà inscrite dans le rapport Action publique 2022, proposition 15 : “renforcer l’efficience des organismes en charge du recouvrement afin d’aller progressivement vers un acteur unique du recouvrement dans les sphères fiscale et sociale, et de réduire les coûts de recouvrement et les effectifs”.   

Sur ce point, le rapport constate que « la mission d’appui indique que l’évaluation d’un gain de 1 Md€ sur l’unification complète du recouvrement fiscal et social, formulée dans le rapport CAP 2022, était « empirique » [ndlr :pour ne pas dire fumeuse] essentiellement basée sur les économies pérennes du non-remplacement des fonctionnaires des finances publiques dont les emplois seront supprimés d’ici la fin du quinquennat ».  

Pour la CFDT et la CFTC, au-delà de la concentration des risques politiques, budgétaires, organisationnels et informatiques, la question est de savoir si l’autonomie d’une agence vaut de prendre un risque à 1000 milliards d’euros sans assurance d’une quelconque plus-value liée à la structure ou à la gouvernance. 

Pas de transfert total des taxes douanières 

Le rapport abandonne l’idée d’un transfert intégral des taxes douanières vers la DGFiP alors que la lettre de mission demandait expressément d’étudier le transfert de la totalité de la fiscalité douanes vers DGFiP. De même, le rapport reporte le délai fixé pour ces transferts dans la lettre de mission de 2022 à 2024.

Pour le rapporteur, un certain nombre de taxes doivent rester à la Douane (droits de douane et accessoires, TVA import non assujettis, TICPE) pour des logiques liées au métier. 

Au total ce sont quand même 11 taxes sur 14 dont le rapport propose de transférer le recouvrement et tout ou partie de l’assiette et du contrôle sur pièce (documentaire) et sur place (physique). La méthode pour y parvenir : saucissonner le travail sur l’assiette et le contrôle entre les deux Direction selon un mode de travail et d’organisation que l’on peine à comprendre. La CFDT et la CFTC ont fait remarquer que la « rationalisation » du recouvrement s’accordait mal avec des conventions signées entre deux administrations. Nous ne croyons pas une seule seconde à la pérennité d’un tel système. 

 

L’obsession budgétaire avec la foi mais sans les chiffres... 

Le rapport convient que les performances globales du recouvrement actuelle de la DGFiP et du réseau des URSSAF sont « significatives » (99,07% en 2017 pour le réseau des URSSAF et pour la DGFiP, 98,17 % pour les professionnels et 99,14 % pour les particuliers). 

Le rapporteur a fait observer que la TSVR était une taxe coûteuse mais pas du fait des services douaniers mais plutôt du fait même de la législation. Des réformes et simplifications législatives lui semblent nécessaires pour obtenir des gains. 

La CFDT et la CFTC sera extrêmement attentive aux conséquences sur les douaniers du centre de Metz qui ont déjà subi la terrible désillusion de l’abandon de la Taxe Poids Lourd.  

 

Qu’est-ce qui motive donc l’urgence d’une telle réforme ?  

L’intuition d’une meilleure efficacité ? Elle est présumée et ne pourra être quantifiée qu’à l’issue d’expérimentations prévues dans le rapport Gardette (p.ex. recouvrement unifié des prélèvements, produits locaux et amendes à la DGFiP avec l‘émergence de l‘application ROCSP en cours de développement).

La conviction sur les économies pouvant être réalisées ? Elles ne sont pas démontrées dans le rapport (faible comparabilité entre les types de taxes, entre les dispositifs juridiques utilisés dans les sphères fiscales et sociales et entre des organisations du recouvrement forcé différentes et marquées par des spécificités métiers). 

La certitude des suppressions d’emplois ? Nul doute que derrière le terme de « synergie » ce soit cet objectif qui affleure. Mais même là, le rapporteur convient qu’à législation et applicatifs constants, les gains en efficience seront faibles et les gains de productivité attendus des « synergies » marginaux. 

La volonté de faire comme d’autres pays ? Mais leurs systèmes de prélèvements obligatoires est différent, répondent à des exigences différentes et moins étendues. 

 

Le coût de la réforme

Il est important et le retour sur investissement tardif. Ainsi, la création d’un SCN en charge du portail commun rassemblant les données fiscales et sociales de la DGFiP de la Douane et de l’ACOSS est évaluée à 1 milliards d’euros. Outre le fait que l’outil sera structurant et conditionnera largement les choix organisationnels futurs, le rapport table sur un retour sur investissement au bout de 10 ans. La CFDT a fait observer qu’aucun grand chantier informatique n’a respecté les délais et le budget initial. La Cour des Comptes le rappelle régulièrement. 

Certes, le rapporteur présume que des économies peuvent être réalisées, notamment à la Douane dont certains systèmes informatiques arrivent « en fin de vie », sans plus de précision. La CFDT et la CFTC ont fait observer le risque que des crédits d’autres applications soient réduits ou bien des projets remis à plus tard. Pour rappel, un récent rapport de la Cour des Comptes pointe «la dette technique » coûteuse de la DGFiP. 

 

L’idée d’un collecteur unique à long terme est toujours dans le cartable ministériel              

Le rapport Gardette a convaincu le ministre Darmanin d’abandonner l’idée d’une agence unique du recouvrement fiscal et social, hors de portée à l’horizon 2022. 

Toutefois, la porte reste ouverte, mais à l’horizon d’une décennie (avec toutes les incertitudes liées à cette durée), sur l’idée d’un collecteur unique. Celui-ci devrait en toute logique être la DGFiP qui recueille actuellement 80% des prélèvements obligatoires. 

Pour le rapporteur, l’idée d’un collecteur unique a du sens car les métiers de recouvrement des prélèvements obligatoires sont identiques d’où qu’on les exerce. Il sera donc pour lui possible de converger le moment venu. C’est là une vision purement mécaniciste qui ne tient aucunement compte de la nature des prélèvements mais seulement de la technique pour les recouvrer.

Pour la CFDT, les missions exercées par la Douane doivent être préservées 

Pour la CFDT et la CFTC, il est primordial que l’axe ARC (Assiette-Recouvrement-Contrôle) permette la continuité des missions douanières de lutte contre la fraude et de suivi des flux de marchandise, de protection des consommateurs et de conseil aux entreprises.  

La DGFiP n’est pas en mesure d’exercer pleinement ces missions douanières en sus de ses missions actuelles, en particulier à cause de l’attrition permanente de ses effectifs. De plus, les séparations assiette, recouvrement et contrôle proposées à la discussion risquent d’aboutir à des conventions passées entre administrations éloignées de l‘efficacité « métier » et de l’impératif de réactivité.

C’est pourquoi, le projet actuel doit être amendé pour permettre aux agents de la DGDDI de maintenir leur champ de compétence sur ces taxes qui, pour une majorité d’entre elles, sont liées à une marchandise et à des circulations intracommunautaires. 

La CFDT et la CFTCa insisté sur les manques du rapport. En effet, en perdant le contrôle sur l’assiette des Taxes sur les alcools et tabacs, la Douane perd son droit d’exercice et donc la possibilité d’intervenir pour des contrôles physiques chez les opérateurs.  

La CFDT et la CFTCa posé la question du nombre de contrôles, d’analyses labo, du bilan des amendes perçues effectués par la DGFiP suite au transfert des BNA. Faire un bilan des premiers transferts de taxes semble être un bon point de départ. L’absence de structure permettant le contrôle physique par les agents de la DGFiP, la difficulté de liaison entre services, et la non-priorisation en termes d’enjeux financiers au regard de la TVA vont mettre en évidence un abandon de la mission de lutte contre la fraude sur les BNA. Et ce modèle risque de se reproduire pour les autres taxes ! 

En réponse, l’administration a indiqué qu’un bilan sera fait lors du premier groupe de travail métier. Rendez-vous est pris ! 

La CFDT et la CFTC ont enfin fait remarquer que le rapport évacuait totalement le rôle de la Douane en matière d’action économique et de soutien aux entreprises. C’est pourtant l’une de ses trois missions essentielles ! Nombre de taxes aujourd’hui gérée par la DGDDI impactent des PME PMI, qui ne s’y retrouvent que rarement sur les portails des administrations et qui ne font pas affaire avec des avocats fiscalistes. C’est bien à la Direction Générale, dans les Direction Régionales et dans les accueils des bureaux fiscalité des douanes que se joue la compétitivité de nos entreprises et la concurrence régulière entre elles.

La méthode de discussion fixant des groupes de travail métier et RH a fait l'objet d'un consensus entre les différentes organisations syndicales et l'administration. Mais aucune date n'est encore fixée pour la première réunion.