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Prélèvement à la source : quitte ou double ? Une question à un demi-milliard d’euros

Publié le 04/09/2018

Il aura fallu une simple interview du Premier ministre au Journal du dimanche le 26 août dernier dans laquelle il annonçait qu’il ferait « le point sur la préparation de cette réforme dans les prochaines semaines » pour mettre le doute dans la faisabilité du prélèvement à la source et battre en brèche la communication rassurante du ministère de l’Action et des Comptes publics et de la DGFiP.

La décision finale sera prise mardi 4 septembre par le Président de la République qui a également émis publiquement des doutes sur la réforme. Les conséquences politiques tant en matière de finances publiques que de conduite des réformes seront importantes quelle que soit la décision prise.

Une communication gouvernementale cacophonique

Alors même que la campagne de communication de la DGFiP dont le budget s’élève à 4,5 millions d’euros est lancée et que les contribuables reçoivent la lettre du ministre Darmanin vantant les bienfaits de la simplification du prélèvement à la source, d’autres membres du gouvernement font part de leurs craintes de la perception par les contribuables de la diminution de leur salaire net. Celui-ci devrait en effet légèrement augmenter, pour les salariés du secteur privé, à partir d’octobre avec la seconde séquence de suppression de cotisations salariales.

Le bal des hypocrites

Certains membres du gouvernement semblent découvrir le principe même du prélèvement à la source : prélever sur le bulletin de paie du salarié le montant de son impôt sur le revenu. S’ils craignent tant l’effet psychologique sur les salariés, pourquoi ne les a-t-on pas entendus avant ? La question aurait pu être posée dès le rapport de l'Inspection Générale des Finances de 2017 qui se voulait rassurante et soutenait, à l'inverse que le prélèvement libérerait les contribuables d'un surplus d’épargne de précaution d'environ 2 milliards.

Certains membres de l’opposition découvrent soudainement la proposition formulée notamment par la CFDT Finances de remplacer le prélèvement à la source par une mensualisation obligatoire mais sans en tirer les conséquences : arrêter les suppressions d’emplois (38000 depuis 2002).

Enfin, les organisations patronales veulent moins de fonctionnaires mais refusent d'assumer le coût généré par un transfert de la charge de gestion du recouvrement de l'Etat vers les employeurs.

Méthode Coué ou roulette russe ?

Patatras, dimanche 2 septembre, le Parisien Aujourd’hui en France publie un article faisant état d’une note confidentielle du bilan de la phase de test lancée avec les employeurs : 241000 erreurs en septembre 2017, aucune en janvier 2018, 352000 en février 2018, aucune en juin 2018. La CFDT Finances, comme les autres fédérations syndicales, n’en a pas été informée. Au contraire, la DGFiP affiche sa confiance dans le dispositif à l’occasion de ses communiqués de presse et de ses réunions avec les organisations syndicales.

Sans autre précision, le doute s’instille dans un système qui repose fondamentalement sur la confiance. La crainte de voir affluer des contribuables en masse dans les accueils en cas de problèmes importants est réelle pour les agents. La CFDT Finances publiques va demander dès lundi 3 septembre matin à rencontrer le directeur général afin de passer en revue les différents scénarii et leurs conséquences sur les suppressions d’emplois prévues et le travail des agents.

Le risque technique est politique

Les visions macro du directeur général de la DGFiP et du ministre Darmanin (les erreurs ne concerneraient qu’1% des contribuables) ne répond pas pour le Premier ministre et le Président de la République au problème politique de 352000 contribuables également électeurs dont les tests auraient révélé, à un moment un problème de prélèvement supplémentaire.

Devant l’usine à gaz que la DGFiP a dû construire en deux ans pour concilier le prélèvement à la source avec un impôt sur le revenu doté du quotient familial, le risque zéro n’existe pas et l’enjeu est de contenir et répondre aux problèmes qui ne manqueront pas de survenir.

Dans quelle mesure ? C’est la réponse que doit apporter le ministre Darmanin au Président de la République et au Premier ministre mardi 4 septembre.Pour la CFDT Finances, la question du niveau d'emplois de la DGFP est posée. Cette administration stratégique pour l'Etat ne peut continuer à supprimer des emplois sans considérer les besoins et les risques.

Réforme du PAS : la charrue avant les bœufs

Le problème du prélèvement à la source n’est pas tant dans sa mise en œuvre par les services de la DGFiP que dans sa nature même.

En effet, le précédent gouvernement a voulu faire une réforme du mode de recouvrement de l’impôt en lieu et place d’une réforme fiscale. Or le prélèvement à la source s’accommode mal d’un impôt très personnalisé et du mode de calcul du quotient conjugal et familial, au contraire des autres pays qui l’ont mis en place et qui ont une individualisation de l’impôt sur le revenu.

Le risque tient également du fait que la DGFiP ne maîtrise pas toute la chaîne d’information. URSSAF, Caisses de retraites, Pôle Emploi, mais surtout des millions d’entreprises de toute tailles qui sont prêtes ou pas. Et la dernière rustine trouvée pour les 1,1 millions d’entreprises de moins de 20 salariés auprès des URSSAF risque de ne pas tenir très longtemps puisque seulement 5% des entreprises ont opté pour le Titre Emploi Service Entreprise (TESE).

L'addition est déjà salée

Le coût s’élève au bas mot à un demi-milliard d’euros. Entre 310 millions et 420 millions pour les entreprises la première année selon un rapport de l’IGF de 2017 remis à l’Assemblée nationale tandis qu’un autre, pour le Sénat, avançait le montant de 1, 2 milliards d’euros. Le coût pour la DGFiP est de 140 millions d’euros selon ce même rapport de l’IGF. Les coûts humains sont déjà engagés puisque de nombreux agents de la DGFiP et des salariés ont déjà longuement travaillé au dispositif (40000 agent formés)

On refait l’histoire ?

Si la CFDT Finances est favorable à la suppression du décalage d'un an entre l'encaissement des salaires par les contribuables et le paiement de l'impôt, elle a émis des doutes dès le départ sur l’intérêt du prélèvement à la source d’un impôt sur le revenu très personnalisé avec un quotient familial.

Notre analyse rejoint celle du Conseil des prélèvements obligatoires rattaché à la Cour des Comptes qui, dans son rapport de février 2012, ne voyait guère l’intérêt du prélèvement à la source lorsque plus de 80% des contribuables étaient mensualisés ou payaient à l’échéance un impôt dont le taux de recouvrement était de plus de 99%.

Quand est-ce qu’un gouvernement décidera d’une réforme fiscale pour un impôt sur le revenu plus progressif et moins miné par les dépenses fiscales ?