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[Vidéo] “Construire une codétermination à la française ?”

Publié le 12/01/2018

Mieux répartir les richesses, mieux partager le pouvoir, améliorer le statut et les objectifs des entreprises, telles sont les propositions de la CFDT dans le cadre de la future loi Entreprises qui devrait être présentée au printemps.

 La CFDT organisait, le 11 janvier 2018, une table rondre "Construire une codétermination à la française ?"

« L’entreprise est une chose trop sérieuse pour la laisser aux seules mains des employeurs ! » En débutant sur cette boutade son discours devant une centaine de militants syndicaux et associatifs lors de la conférence intitulée « Partageons le pouvoir ! Construire une codétermination à la française ? » qui s’est tenue à la Confédération le 11 janvier, Laurent Berger a résumé une partie de la pensée CFDT en ce qui concerne l’entreprise. « La réforme du code du travail a été une occasion manquée de moderniser l’entreprise par des relations sociales renouvelées. Aujourd’hui, les concertations sur la loi Entreprises sont une nouvelle occasion de porter nos propositions, pour prouver la nécessité de rééquilibrer la gouvernance d’entreprise. »

Un projet de loi à venir au printemps

De fait, le futur projet de loi porté par le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Lemaire – intitulé Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) – devrait être présenté en Conseil des ministres au printemps. Il comporterait six thématiques : la création et la croissance ; le partage de la valeur et l’engagement sociétal des entreprises ; leur financement ; la numérisation et l’innovation ; la simplification ; la conquête de l’international. En vue d’élaborer ce projet de loi, des consultations ont été lancées. Les partenaires sociaux ont déjà commencé à échanger avec le gouvernement. Une consultation publique est à l’œuvre depuis le 15 janvier à travers la mise en place du site internet www.pacte-entreprises.gouv.fr. Parallèlement, le gouvernement a confié une mission de réflexion sur la vision de l’entreprise à Jean-Dominique Senard, le patron de Michelin, et à Nicole Notat, dirigeante de l’agence de notation sociale Vigeo Eiris et secrétaire générale de la CFDT de 1992 à 2002. Les partenaires sociaux, et notamment la CFDT, sont concernés par cette loi à travers les trois grands thèmes que sont la participation et l’intéressement, la gouvernance des entreprises et le statut social des entreprises. Sur la première thématique, la concertation est engagée et la CFDT a présenté ses objectifs en matière de partage des richesses grâce à une épargne salariale mieux répartie, mieux protégée et mieux fléchée.

Quatre propositions pour améliorer la gouvernance

Concernant la gouvernance et le partage du pouvoir dans les entreprises, la CFDT a également fait part de ses propositions. « Il y a là un enjeu démocratique, explique Marylise Léon, la secrétaire nationale chargée de ce dossier. Il s’agit de mieux porter la parole des salariés et de rééquilibrer le poids entre le travail et le capital. » C’est le sens de la revendication d’une véritable codétermination à la française inscrite dans l’avant-projet de résolution du congrès de Rennes. L’enquête Parlons travail, effectuée l’an passé par la CFDT et qui a connu un succès considérable avec plus de 200 000 participants, le montre bien : 72 % des salariés souhaitent être davantage associés aux décisions qui les concernent tandis que 84 % d’entre eux veulent travailler dans des entreprises plus démocratiques. Or la France est le pays d’Europe qui compte le moins d’administrateurs salariés (lire l’encadré).

La CFDT estime que le pays doit rattraper ce retard. En outre, elle juge encore insuffisantes les ouvertures des conseils d’administration aux administrateurs salariés permises par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi élargies par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi « même si [ces dernières] ont donné un rôle et une voix délibérative aux administrateurs salariés, au-delà de leur simple présence », précise Marylise Léon. Les administrateurs salariés, actuellement un ou deux par conseil, sont donc trop peu nombreux et trop isolés pour peser sur les décisions stratégiques prises dans les conseils d’administration, souligne la Confédération.

Aussi, la CFDT présente-t-elle quatre propositions visant à un rééquilibrage. La première réside dans le fait d’abaisser à 500 salariés le seuil de mise en place des administrateurs salariés. La deuxième consiste à augmenter leur nombre dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance. Elle préconise au moins deux administrateurs salariés dans les entreprises comptant entre 500 et 1 000 salariés, un tiers entre 1 000 et 5 000, comme cela se fait dans les autres pays de l’Union européenne, et la moitié au-delà de 5 000 salariés.

Légitimité des administrateurs salariés à plusieurs titres

« Pour un conseil d’administration, nous sommes des capteurs de choses invisibles de l’entreprise », affirme Valérie Coulon, administratrice salariée CFDT du groupe Air France. « On est légitime à plusieurs titres à intervenir dans ces lieux de décisions, abonde Béatrice Lepagnol, administratrice salariée CFDT au sein de la Société Générale : en tant que salarié, citoyen et militant. C’est important qu’il y ait des salariés pour rappeler les notions de long terme, de pérennité de l’entreprise. Il ne faut pas opposer les actionnaires et les salariés. J’ai envie de croire que nous avons un objectif commun, la bonne santé de l’entreprise. »

La troisième proposition CFDT porte sur la généralisation de la présence des administrateurs salariés, en la rendant obligatoire dans toutes les entreprises de plus de 500 salariés, quel que soit leur statut. De fait, nombre d’entre elles échappent aujourd’hui à cette obligation en raison de leur structure. C’est le cas d’AXA, de Legrand, d’Accenture, des Mousquetaires, de groupes mutualistes mais aussi de banques telles que les Caisses d’Épargne et les Banques Populaires, etc. Enfin, la quatrième proposition se rapporte aux moyens donnés aux administrateurs salariés. Ils sont administrateurs de plein droit, la CFDT estime qu’ils doivent recevoir la même participation que les autres, « dès lors que des jetons de présence sont distribués, il ne devrait pas être possible d’en exclure les administrateurs salariés ».

L’idée d’un nouveau statut des entreprises

Pourquoi modifier le statut des entreprises ? Aujourd’hui, les entreprises ne sont considérées que comme productrices de rentabilité. L’idée de la CFDT, c’est de développer le statut innovant de société à objet social étendu (Sose). Celui-ci intégrerait des objectifs économiques, humains, sociaux, environnementaux et scientifiques. Cela suppose d’adopter une loi encadrant son statut, ses pratiques et les étapes de sa mise en place. Elle demande également qu’un conseil relatif à l’objet social étendu (Cose) soit mis en œuvre afin de garantir les missions et pouvoirs de la Sose. La CFDT souhaite aussi que les salariés soient associés dans la définition de l’objet social étendu et la désignation de ses membres.

Enfin, la CFDT prône une réécriture des articles 1832 et 1833 du code civil, qui définissent l’objectif d’une société comme étant « constituée en vue de partager des bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourra résulter de la mise en commun des apports ». Selon la CFDT, cette définition ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui, la finalité de l’entreprise dépassant le simple partage du profit. Une réécriture des articles concernés du code civil devrait prendre en compte l’impact économique mais aussi les impacts social et environnemental. Cette proposition a soulevé de vives protestations parmi le patronat le plus conservateur. Pourtant, estime Laurent Berger, « c’est une manière de démocratiser l’entreprise tout en la responsabilisant quant aux conséquences de son activité pour la société ».

dblain@cfdt.fr 


D’autres pays européens plus en avance que la France

Quid de la codétermination dans d’autres pays d’Europe que la France ? « Des discussions sur ce sujet ont lieu partout en Europe, a expliqué Wolfgang Kowalsky, conseiller politique de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui est intervenu lors de la conférence du 11 janvier à la Confédération. Pour certains pays comme l’Allemagne, c’est une histoire qui a commencé dans les années 1950. Aujourd’hui, sur 39 pays membres de la CES, 20 en bénéficient plus ou moins. Cette codétermination varie d’un pays à l’autre, elle peut concerner le privé et le public ou un seul de ces secteurs. En Allemagne, les entreprises de plus de 500 salariés comptent un tiers d’administrateurs salariés dans leur conseil d’entreprise et à partir de 2 000 salariés, la moitié. Le Danemark a fait le choix d’avoir deux administrateurs salariés dès lors que l’entreprise emploie au moins 35 salariés. En Suède, les conseils d’administration comptent un tiers d’administrateurs salariés à partir de 25 salariés. Tous les pays scandinaves ainsi que l’Autriche et la Hollande sont en pointe en matière de codétermination. »

La CES travaille depuis 2011 à l’élaboration d’une revendication sur la codétermination pour ses affiliées (89 organisations syndicales réparties dans 39 pays). « Ça n’a pas été facile de mettre tout le monde d’accord, poursuit Wolfgang Kowalsky, mais finalement nous avons adopté à l’unanimité une revendication qui va au-delà des normes les plus progressistes : deux ou trois administrateurs salariés à partir de 50 salariés ; un tiers du conseil d’administration dès 250 salariés ; la moitié à partir de 1 000 salariés. Nous espérons que la Commission nous suivra dans cette revendication dans les mois à venir. »